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jacques cauda
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19 août 2021

Surfiguration

la pourrie

Orléans de Yann Moix. Posé sur le bord du trottoir. Jeté ? Perdu ? Donné ? J’ouvre, je lis quelques lignes. Je ne connais Moix que de nom. Puis quelques pages. Son bouquin me raconte. Enfant battu. Ma mère me torgnolait à longueur de jour. Le martinet, les coups, les insultes : elle m’appelait saleté.

-       Viens saleté j’vais te laver le cuir !

Elle me traînait dans la baignoire et m’étrillait à l’aide d’une brosse à chiendent.  Elle jouissait, l’œil fou, l’écume. Me noyait d’eau bouillante, d’eau glacée.  Elle m’attrapait par le lobe des oreilles du bout des ongles jusqu’au sang.

-       Saleté comme ton père.

Ce fut ma chance. Elle haïssait mon géniteur. À la différence de Moix qui affronte une coalition mère/père. 

Mon père, militaire souvent absent, homosexuel travesti, bas noirs et porte-jarretelles, ne pensait qu’à son cul.

Il avait bien essayé de m’étouffer sous un couvre-lit mais il n’avait pas les couilles. C’était le  fion qui le travaillait. 

Avec Moix, je retrouve mes symptômes, les intestins qui flanchent, chiais partout, et la vie parallèle. Je respirais caché.

Les livres volés ou achetés en douce. Je me souviens de L’Île au trésor de Stevenson que j’avais fait mien avec l’argent que mon grand-père m’avait donné.

-       Qu’est-ce que t’as foutu avec le blé, saleté ?

Les coups pleuvaient. En effet, j’avais de la flotte plein les yeux. Chaudes larmes. Mon refuge. Ma bouée. Longtemps je me suis couché de malheur. Avec bonheur. J’allais mourir de mourir de jouir. « Tu vas jouir, ma saleté », disait-elle l’immonde. Le mal pour le bon. Ça me sauvait. 

-       Alors tu réponds ou tu veux crever ?

Silence. Coups. Sang et larmes. Vociférations.

-       Je te garantis les enfants de troupe, saleté. Ils vont te la redresser la couenne !

J’étais souvent menacé des enfants de troupe, comme Moix. J’aurais préféré. Je me taisais, subissais longtemps. Je veux la troupe, je veux ! Mais rien. 

-       Stop, je hurlai. 

Je déplanquai le bouquin. Sachant que les deux pourris seraient pas au mieux. Le vieux fion qui assistait muet de trouille à la Question prit un air.

-       T’aurais pas pu le dire avant ! 

Déçue, la daronne avait imaginé. Des achats gâteaux sucreries. Des bouquins de cul pour mes dix ans. Des motifs à tortures.

-       T’es un gros tordu, dit-elle la bouche de travers.

Ils votaient coco. Kulture !  Turlutte finale. Baissaient la tête devant l’école, les profs, les têtes. Tandis que chez Moix, les livres étaient voués au saccage, chez mes pourris, il y avait génuflexion. Ils racontaient partout que j’étais un premier. Une tête. Un forçat de l’étude. Promis à Polytechnique. Le rêve du fion ! L’X ! Reçu à l’X, c’était une partie d’eux-mêmes qui y pénétrait, écrit Moix.

Tout pareil pour mézigue ! Hi hi hi.  Je riais en moi déjà ! Mon choix tout tracé, ce serait la voie senestre.  Je me voulais honte et chiennerie. Patience…

En 1974, la majorité passa de 21 à 18 ans. J’en avais 19. Je laissai un mot un seul un beau sur la table de la cuisine : MERDE ! Et claquai la porte !

 

À lire Profession de foi paru aux éditions Tinbad où j’ai esquissé la figure des deux pourris. Je cite : « J’ai été élevé en banlieue parisienne. Je dis bien « élevé » et non pas « éduqué ». Élevé comme un animal, une bête, qu’on nourrissait (beaucoup et bien) et qu’on battait (beaucoup et bien). Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel, ce sont les livres qui me l’ont donné. D’être battu a pour avantage de ne pas être aimé, ainsi pour l’être un peu des enseignants qui m’enseignaient, je devins le premier de la classe. Celui que tous les autres détestent, dans un pays où la réussite est signe d’infamie. Heureusement que mes poings et mon aptitude à la délinquance me firent vite respecter de mes camarades, dont deux futurs souteneurs, un assassin et beaucoup de petits voleurs. L’argot fut aussi le sésame qui gagna leur respect. Je l’appris comme une langue étrangère. Et bientôt, chaque soir, sur le chemin du retour de l’école, une petite cour m’entourait pour l’entendre parler comme Auguste Le Breton l’écrivait, c’est-à-dire beaucoup mieux que mes géniteurs qui baragouinaient un sabir sans élan. En somme, premier de la classe atypique, je mélangeais les genres, comme la musique de Mahler enchaîne les phrases sublimes aux airs de fanfare municipale. 

Mes géniteurs habitaient un non-lieu que tout le monde appelait la Cité. Nous ne sommes que dans les années soixante, et le règne des Cités balbutie encore. Ils logeaient dans trois pièces bâties à la hâte, au quatrième étage d’un immeuble qui en comportait neuf. Leur principal souci était de nourrir les animaux qui végétaient avec eux, un chat, un serin dans une cage minuscule et moi. 

Après s’être battue avec la porte de l’ascenseur puis la porte d’entrée de l’appartement, les mains au bout de cageots remplis de viandes et de charcuteries diverses, les épinards, les poireaux et les laitues coincés sous les bras et les laitages entassés dans un panier roulant, elle passait sa grosse tête furieuse dans la cuisine avant de jeter « tout ça » sur la table. Le foie pour le chat, qu’elle retournait d’une claque sur une assiette en hurlant : « Tu viens bouffer ou non ! » Et, entre les barreaux de la cage du pauvre oiseau qui faisait un petit caca d’angoisse au fond de sa prison, elle glissait une feuille arrachée vivement de la laitue en hurlant : « Chante pas beaucoup celui-ci ! » Puis ajoutant comme prise de remords : « Les bêtes elles ça console de la méchanceté des hommes, vaux mieux nourrir un porc que l’autre saleté (c’était moi qu’elle regardait en horreur) pour au moins la reconnaissance du ventre ! » Le géniteur qui venait d’entrer approuvait en hochant la tête. Lui, il avait acheté le vin, deux caisses pour la semaine, et l’Apéro avec un A majuscule. De quoi dormir sur le canapé devant l’écran de télévision dont il couvrait le son de ses ronflements. Ce qui exaspérait sa femelle qui jetait désabusée : « C’est d’un gai ! » Il est vrai qu’elle s’y connaissait en gaîtés et jubilations comme de jeter son rond de serviette en métal au front du dormeur qui faisait : « Hââââââ ! » portant la main à sa blessure, avec dans le regard un éclair de lucidité dont elle profitait : « Faudra-t-il que je te le botte le cul jusqu’à ton lit ! » « J’y vais, j’y vais », répondait-il mollement avant de replonger dans son rêve jusqu’au prochain jet d’objet accompagné d’un ultime cri de rage : « Un homme ? Ça ! Ça !» Elle hurlait, les yeux fous, les bras lancés au hasard, cherchant une victime. Le chat disparaissait alors ventre à terre, rampant sous les meubles, tandis que l’oiseau, au faîte du désespoir, se décidait enfin à siffler, siffler, siffler. Et ainsi infiniment. »

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