Surfiguration
Le 10 février 1997
Chère Claire Denis,
Vous écrire mon émotion pour Nénette et Boni. Avec difficulté, parce qu’avec la nette impression de me trouver moi-même là où se joue votre film : ENTRE-DEUX. Là où voir et écrire en débattent…Et dire (écrire) ce là, cet entre-deux où votre film dit l’enjeu du cinéma qui est de faire passer l’épreuve-même du cinéma par l’épreuve-même de l’amour : comment défait-on un enfant ?
Tout d’abord, comment le fait-on ? Avec les mains ? Les yeux ?...
« De tendres femmes ont, de leurs mains, fait cuire leur petit. » Lamentations IV,10. Ou bien avec la voix, Audita voce Fecunda ? Pétrit-on (à l’image de Boni et sa pâte à pizza) un film de sa propre voix ?
J’aimerais vous dessiner mon écrire. Les yeux fermés. Dessiner l’origine et le devenir d’une lettre. Dessiner ce que devient la pain (pétri) après qu’on l’eût ingéré. Dessiner un chié (un letter/litter ) : l’image d’un enfant où reposeraient mes mains sur la table à manger et à dessiner ? Table et tableau sont du même bois dont on fait l’entre-deux, le là où IL est tout en n’y étant pas, comme l’a démontré saint Thomas et comme vous l’avez filmé, entre Claire et Denis.
Jacques Cauda