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jacques cauda
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17 octobre 2017

Surfiguration

ORK, Jacques Cauda, éditions La Petite Hélène ; 2017

[ 128  p.] - 13 €

ORK est un manurhin MR73 tendu dans le sexe d'une pute ou d'une cougar, dans la frénésie juteuse d'un rythme underground du pays des feuillées ! C'est hard, rauque -ORK ! Le narrateur n'y circule pas en tant que membre de la Police nationale française, n'est ni un "keuf" zigzagant avec son calibre dans les méandres marécageux de la cité ni un voyeur de la "choufe", ni un "clandé" en quête (ne pas confondre avec "queter"…) d'inspiration pour l'écriture d'un polar, ou... Son point de vue omniscient lui cale le regard dans les différents angles d'attaque et amortis d'un quotidien glauque qui se déroule ici, allant et venant entre l'univers de notables (les Aubain), d'élus locaux, de jeunes délinquants dans leurs habits lumineux comme la gloire, dans l'éclat de faisceaux intermittents où l'espoir n'a pas le temps de s'attarder…

« L’avantage d’écrire, c’est la situation. Œil du cyclone, noyau dur, je suis à l’intérieur de celles et ceux que je couche sur mon écran votre papier, j’y vois comme dans un pâté dont on aurait ôté la croûte. »

ork

Dans le quartier de la Zone, trois "zyva" de la "bad-trip" Charlie, Le Boche, l'obsédé sexuel Steve (il sent l'appel du vagin en toute circonstance et limerait bien le ventre de « la vieille » sans vergogne), sans "mif" (famille) et plutôt "deudeu" (speed en anglais, deuspi en verlan) errent comme des malades du cerveau parmi d'autres : côté obscurité visqueuse, dans les corridors et bas-fonds, les cambriolages jouent des outils et de la chignole ; côté "swag", les trois lascars font leur taf sous l'aile protectrice de « Monsieur Jean », s'exécutent dans de menus services rendus à la cité. Service d'intégration ? Travaux d''intérêt et d'utilité générale ?  Notables, politiciens et zonards coexistent sur la scène d'Ork et assistent, pareillement au vu de leur statut ou de leur taf, aux pires règlements de compte sanguinaires, sans pitié :

« — Il va bien crever, cette salope de tante !

Oskar ramassa une branche d’arbre, une branche morte, grossière et maladroite, bientôt élaguée pour devenir bâton stylo signant le crime homophobe : « A mort les pédés ! » Cul nu, l’anus ouvert, la branche en entrant fit un bruit de croc broyant des os, profond dans la viande bouillie, humide et grasse, l’intestin crevant comme un ballon de baudruche trop rempli, bulles d’air à fleur de marécage…

— OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO !!!!! »

ORK Couverture_Cauda

L'argot des banlieues, le verlan -"on pénave comme les wesh-wesh"- colorent ce polar métaphysique qui fait la nique aux genres policés et où les Scarlett (alias Scarlett Johansson II dans le roman) ne pénavent pas comme les joibours de Paname (l'Éloïse de Ork). Ça renifle le sexe, le sang, la sueur, la came. La verlanisation graphique envahit même l'espace et décor ambiance parfois comme un Rembrandt mâtiné de Peter Van Hooke :

« Ça avait remué d’un ongle. Un ongle crasseux, noir comme le soir qui commençait à tomber dehors bientôt aussi sombre que dedans. Ça faisait tableau de Rembrandt percé d’un couloir façon corridor de Peter de Hooch. »

Du San Antonio 2017 avec la gouaille d 'Audiard fardée dans le jus Sex and Came des cités, via le langage crypté des dealers. De l'argot des banlieues mâtiné du langage des "djeunz" et du langage familier, le tout arrosé par la verve singulière et originale du Cauda « in venenum cauda » * ... On "s'enjaille" dans les corridors (de tous genres) et ça dérouille et ça "bourre" et ça "marave" et ça "técla". Des meurtres sordides ou crapuleux, dignes pour certains (cf. celui du petit délinquant Tony Macou, qui fait la Une du polar avec une création signée de l'auteur lui-même, Jacques Cauda) d'un tueur en série, d'un serial killer, dont il faut résoudre les tenants et aboutissants pour fluidifier le "blaze" de la cité des feuillées.

Les clins d'œil du texte font mouche (adresse de l'auteur au lecteur comme ci-dessus ; références à des auteurs contemporains ; références à des œuvres d'art contextuelles, …).

Ce polar métaphysique a le baroque sans le maniérisme, la trame active et stylée, et file comme un bolide dans la cité en déjouant les radars qui voudraient la "choufer" ou y semer un semblant d'ordre : insulte au "dawa" qui y règne avec, l'omerta, la discrétion (l'« air ahuri » des trois lascars Charlie, Le Boche et Steve) clefs de  réussite indispensable, du moins pour éviter la déveine. Volubile pour dire le cœur de la cité, couleur rouge, couleur Noir, Ork écrit sur la blancheur de la page comme un pastel gras dessinerait ses formes en clair-obscur, la rage de vivre et de survivre, quitte à que s'en arrache la langue, des décorums policés des évidences soporifiques. C'est hard, baroque, rauque, -ORK ! 

* « Le venin est dans la queue », signifiant « garder les mauvaises surprises pour la fin ». S'applique pareillement à la dernière partie d'un discours ou d'une lettre qui, débutant doucereusement et sans surprise, ne caresse de prime abord que pour mieux frapper ensuite et enfin. Or Christian de Saint-Germain (vrai prénom et patronyme de l'auteur) choisit son nom d'artiste « Cauda » en rapport avec le signifiant et la symbolique de cette citation latine cf. In Cauda venenum, biographie de Jacques Cauda par Elise Vincent et Déborah Vincent, Jacques Flament Editions ; 2015. Cf. également article de presse dans Libération, en février 2015 : "Les 400 culs – In cauda venenum : le venin dans la queue ?"

 

© Murielle COMPÈRE-DEMARCY (MCDem.)

ORK Jacques Cauda

Sur un bord de côte normande, le crime fait son métier de boucher. Le sang y est une épiphanie des ténèbres. Les loups seraient-ils entrés dans la ville ? Non. Ils n'en sont jamais sortis. L'humain, tel qu'en lui-même, vu comme il se doit : par le trou d'une fosse septique.

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