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jacques cauda
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6 mars 2017

Surfiguration

Extrait de "Ici le temps va à pied" Prix spécial du jury Joseph Delteil ( à qui j'ai emprunté le titre)

Remise des prix jeudi 9 mars à 18h à la médiathèque Emile Zola de Montpellier

brazy 5

5 Paris III

 

Je suis encore monté voir Brazy. Au loin, le soir commençait à tomber mais où nous nous tenions le jour séchait au soleil.

Quelqu’un avait laissé une poignée de croquettes sur le bord d’une tombe. Brazy me regarda une dernière fois puis mangea.

 

J’ai fait la connaissance de Brazy il y a peu. Un matin. Je traversais le cimetière comme souvent et il était là dans son être-là, couché sur l’un des deux bancs qui bornent l’allée centrale.

De grands yeux jaunes. Le poil gris et blanc.

L’agréable avec lui, c’est le silence. Il se tait autant que moi qui n’attends rien ni personne.

 

Le cimetière est collé à l’église. Aussi loin qu’elle porte, cette proximité est un argument en faveur de la lumière qui point dans les yeux de ce chat. Elle pose la question de l’amour.

Cet après-midi, il dort à l’ombre d’un grand millepertuis, couché à même la terre, non loin d’une tombe où un jeu avec les mots a été gravé : nez-vert-mort

 

Herbes et brandilles éparses dans l’allée. Et une souris tuée recouverte de mouches sonores. En me penchant vers elles, je sens l’odeur de la mort qui se dégage de ce petit cadavre gris abandonné là par Brazy, après que la joie a coulé de ses yeux jaunes. L’amour comprend la mort et c’est un moindre mal.

 

La beauté pensée (le désir abandonné) a l’allure d’une jeune femme qui marche en souriant sans un regard pour Brazy qui l’observe sans montrer qu’il la voit.

Des merles grondent.

 

Pendant la nuit, la porte qui ouvre au cimetière est close. De l’autre côté du mur d’enceinte, Brazy sommeille, un œil posé sur les morts, ou bien se plaît à chasser le vivant qui peuple le noir veiné du rouge qui coule d’entre ses griffes.

« Le sang est une épiphanie des ténèbres »

 

Le temps passe par les rumeurs de la ville, par exemple cette moto qui pétarade dans la rue. En revanche, Brazy se tient dans la position de quelqu’un qui serait en mesure d’apprécier l’éternité. Telle une statue en regard de l’église et du cimetière qui reposent sur une montagne de glaise propre à son exécution. 

Mat’a kite u’rani, autrement dit, traduit de la langue des statues : « Les yeux qui regardent le ciel. »

 

Brazy n’y est pas ! Caché ? Assoupi sous un buisson ? Envolé (c’est un ange) ? Mort d’amour? Son absence me conduit à l’envisager selon l’ordre des sensations qui me vient à l’esprit, un peu à la manière de Cézanne, c’est-à-dire comme une nécessité d’expression qui serait à moduler en langue cézanienne et qui est à vocaliser ici : CHT.

 

Chet : prénom d’un musicien de jazz qui a dit jouer chaque morceau, dont le délicieux cool cat, comme si c’était le dernier. À rapprocher du  fameux « dernier verre » que les alcooliques ne prennent jamais.

Chut : le silence et le diable, Brazy est un ange mais un ange qui a chu au milieu des ombres dont l’univers est clos sur lui-même sans autre ouverture au monde que le silence troublé car bruissant d’amour. 

Chit : paradis artificiel dont le chat, dans les yeux duquel on plonge enivré, semble être ou paraître une des correspondances naturelles.

Chot : oiseau de nuit en langue occitane qui confirmerait l’envolement de ce chat ailé.

 

Planqué comme un voyou en cavale, chat voyou & voyelle.

Et moi voyant là où le verbe voir s’articule, là où il figure à partir du vide laissé par Brazy entre les tombes et les consonnes. Comme la peinture de Cézanne, autour du zéro.

 

Pas de Brazy. Il a disparu mais il est là. Sine subjecto existit

 

Il resterait maintenant à le détourer, investir dans le trait (du chasseur) marquant sa disparition, célébrer la mort par la mort de la mort. Peindre l’amour faisant la mort.

 © Cauda

 

 

 

 

 

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