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jacques cauda
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27 février 2017

Surfiguration

In cauda venenum: le venin dans la queue?

(mise à jour : 26 février 2017)

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A 4 ans et demi, il lit Les Misérables. A 6 ans, il jure de devenir poète. A 17 ans, il est alcoolique, situationniste et délinquant. A 62 ans, Jacques Cauda publie un livre qui prend la langue à son propre et pervers piège.

A la question d’un journaliste (Le Littéraire), «Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?», Jacques Cauda répond : «30 ans de moins». «Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?» : «La prise de mes médicaments. Je suis un survivant de tous mes excèsJacques Cauda les énumère : Préviscan 20, Bisoprolol 5, Valsartan 40, Galvus 50, Atorvastatine 10. Le résultat d’une vie pour le moins agitée et qu’il résume avec un humour non-exempt de noirceur : «Nous sommes en 1973. Je suis lycéen et je sèche la plupart des cours sauf la philo. Le reste du temps je vais aux putes (c’est l’expression : on va aux putes) et puis je me saoule avec grâce et délectation.» Jacques Cauda se saoule, vole, pratique la guérilla urbaine au sein d’un groupe de loubards armés puis il devient réalisateur de documentaire, écrivain et créateur du mouvement surfiguratif, ce qu’il résume ainsi : «Ou bien ou bien ou bien la vie esthétique ou bien la vie éthique c’est le choix posé par Kierkegaard j’ai choisi l’esthétique», ce qu’il faut traduire : «la séduction baiser des filles». Et puisque l’esthétique, comme dit Kierkegaard «craint la répétition», Jacques Cauda rajoute : «Baiser les filles fait variation ou bien par-devant ou bien par-derrière». Mais à l’âge de 62 ans, «ou bien» finit par perdre du sens. Au fond, c’est pareil non ?

Par-devant ou par-derrière : c’est kif-kif naître ou mourir

«La vie humaine se compose de deux parties. La première se passe à désirer la seconde, la seconde à désirer le retour de la première.» Dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905), Freud souligne que les traits les plus spirituels consistent souvent à «unifier» des choses en apparence opposées et les résoudre en une phrase qui renvoie dos à dos les contraires, avec une joie maligne. Le mot d’esprit ne fait d’ailleurs pas vraiment rire. Trop noir, trop cruel. A la limite, il fait ricaner, comme le squelette en somme. Le mot d’esprit vous le rappelle : vous avez beau fuir… La vie finira toujours pas vous ramener dans un trou, comme au départ. C’est à cette leçon-là que Jacques Cauda s’attaque, dans un roman qui se mord la queue et pour cause : son nom même vient du latin cauda, «la queue». «Moi, malsain de corps et d’esprit et malsain de queue dit cauda dit aussi le vénéneux», dit-il, entraînant son lecteur dans une fuite en avant qui n’est jamais qu’une feinte car, comme la flèche du Parthe (technique de combat redoutable des Parthes qui font d’abord semblant de fuir puis se retournent sur leur cheval et, tout en galopant à l’envers, arrosent de flèches leurs poursuivants), son écriture se retourne cruellement : in cauda venenum. Prenez garde à Cauda.

Comme il est dit

Le roman s’intitule Comilédie. Il se lit comme une énigme loufoque, une diabolique charade bourrée de jeux de mots à ras bord et de citations détournées dont il faut remonter la piste. Ainsi que Jacques Cauda l’affirme lui-même, ce roman «dada» est une mise au monde de lui-même sous la forme masturbatoire, – tantôt agaçante, tantôt jouissive –, d’une diarrhée verbale qui mélange tour à tour des citations du dictionnaire des étymologies et des pastiches de Mallarmé, entre des allusions à Sade, Duchamp ou Sévigné. Cette mise au monde prend pour modèle celle de Gargantua qui – naissant à la faveur d’un terrible encombrement intestinal (sa mère avait abusé des tripes) – ne parvint pas à sortir par le bas : c’était «obstrué». Gargantua sortit donc par le haut, c’est-à-dire la veine cave et, prenant «son chemin à gauche, il sortit par l’oreille gauche». Dans Comilédie, le narrateur lui aussi fera sa délivrance par l’oreille, accompagné de «son double tautologique, Sosie» avec lequel – tout au long du récit qui mène de la matrice à l’oreille – il ne cessera de revivre les expériences amoureuses de sa vie passée.

Qu’est-ce qui balance ?

Cette naissance à l’envers (modelée sur les récits mythologiques de l’antiquité qui voient les dieux sortir de la cuisse ou du crâne), se déroule donc à rebours comme une immense énumération de souvenirs et de lectures charnelles parmi lesquelles le lecteur peut extraire des pépites, coincées entre deux salves de contrepèteries. Ma pépite, en l’occurrence, c’est cette citation de Freud qui, à la lumière de Comilédie, prend brusquement tout son sens… Il s’agit d’une charade en Allemand (2) : «Entouré par mon dernier/mon tout balance/accroché par mes deux premiers.» Qu’est-ce que c’est ?» Réponse : galgenstrick. La dernière syllabe de ce mot – strick – signifie «corde». Les deux premières syllabes de ce mot – galgen – signifient «potence». Et le tout – galgenstrick – signifie «un pendu». Un pendu est un tout qui balance, entouré par une corde, accroché à une potence. Parfait exemple d’unification dont Jacques Cauda s’empresse de dire qu’il ne s’agit pas d’un pendu mais bien plutôt de son «monstrueux appareil reproducteur», soulignant du même coup, non sans ironie, qu’il n’y a rien de plus mortel au fond que ces organes en forme de cadavre ou de fosse. Comme par hasard, dans son livre sur les mots d’esprits, Freud mentionne une autre énigme du même genre : «Mes deux premiers trouvent leur lieu de repos/dans le couple du tiers/et le tout fait leur lit.» Qu’est-ce que c’est ? Le mot de l’énigme est : Totengräber : «fossoyeur». Parce que Toten : «morts» et Gräber : «tombes». Aha-hum.

Une dernière pépite pour la route

Là dessus achevant son âme/Où le pli en corps est gravé/On trouve que la bonne femme/A donc un doigt où vous savez !

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A LIRE : Comilédie de Jacques Cauda, éditions Tinbad. Sortie le 25 février 2017. Le livre est illustré d’images faites par Jacques Cauda lui-même et dont vous pourrez voir un choix très large dans l’exposition qui lui est consacrée.

EXPOSITION : Jacques Cauda Illustrateur, du 1er mars au 30 avril 2017. Librairie Equipages : 61 rue de Bagnolet, 75020 Paris. Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h à 20h.

LECTURE : Comilédie de Jacques Cauda. Le 23 mars à la librairie Équipages : 61 rue de Bagnolet 75020 Paris, à 18h.

SITE : http://jacquescauda.ultra-book.com

 

BLOG : http://jacquescauda.canalblog.com/

NOTE (1) Von der letzten umschlung Schwebt dao vollendete Ganze Zu den zwei ersten empor.

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