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jacques cauda
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17 février 2016

Surfiguration

Extrait de "Je est un peintre"

070 - JE EST UN PEINTRE

ISBN : 978-2-36336-069-4 PAGES : 80 FORMAT : 200 x 130 PARUTION : 11/2012 COLLECTION : Paroles de poètes PRIX : 11,90 € INFOS SUR VOS POSSIBILITÉS DE RÈGLEMENT R

http://www.jacquesflamenteditions.com

http://www.jacquesflamenteditions.com/070-je-est-un-peintre/

je m’en vais quelques jours hors de l’atelier l’air l’eau la mer est en vue après le voyage en train bercement comme masturbation les roues du wagon sur les rails allant et venant ça et là et ça y est c’est la jetée je suis arrivé

il fait beau mais je n’aime pas la chaleur je préfère le gris gris bleu gris vert gris gris ciel chargé nuages vent douceur du vent  mais non le ciel est bleu lisse  avec quelques mouettes puis beaucoup à mesure que j’avance dans le port

j’ai emporté un carnet de croquis une boite d’aquarelle et une dizaine de pinceaux

je n’ai pas le goût de peindre l’immédiat présent

je suis venu ici

pour me souvenir jouer avec le temps

Proust

Flaubert

Dumas

Duras

c’est la mer la plage où je rencontre E. que je n’avais pas vu depuis des années nous devions faire un livre ensemble il me dit venir tous les étés ici aux Roches Noires où sa femme possède un appartement il me montre le hall où je n’étais jamais entré « lumière très diffuse rangée de fauteuils vides devant la mer » ce sont les mots de M.D. « glaces ternies mauvaise lumière le hall endroit nu lisse le bruit de la mer qui racle les murs »

je peins deux trois aquarelles  quelconques

je me dis en moi-même attends regarde et prends tout du monde qui t’entoure les femmes les fleurs les bêtes

les terribles goélands argentés qui ont colonisé la ville cris stridences macabres sabbat sur les toits ce sont des indiens qui nous promettent l’enfer le jour la nuit attendant les bateaux  de retour de pêche  quand l’un d’eux rentre au port c’est l’hallali  la folie l’orgie la mort en vol plumes meutes d’indiens attaquant la diligence

la mer les femmes dans leurs corps étendus sur la sable comme elles sont là tandis que nous les hommes n’y sommes pas qu’est-ce que nous faisons ici ? existons-nous ? le monde est tout autour de nous  et nous n’y sommes pas nous ne sommes pas où sont les femmes avec leurs corps leurs seins leurs bouches leurs culs leurs peaux  tout autour d’elles

heureusement je suis aussi peintre j’observe je prends je regarde je garde je retiens je laisse je reprends et ainsi infiniment

je rentrerai les valises pleines

en attendant je mange des bêtes des huîtres des crevettes des soles et je bois du vin blanc un peu un seul verre car je ne bois plus d’alcool depuis que les chirurgiens m’ont ouvert en deux comme un poulet

des crabes des étrilles des tourteaux que je peins en imagination crabe fantaisie

comme mes fleurs imaginaires

que j’invente

pétales feuilles formes

je peins mes bêtes dans le souvenir que j’ai des bêtes

les fleurs dans le souvenir que j’ai des fleurs

en revanche les femmes sont trop présentes pour être passées au tamis du souvenir de l’imaginaire elles crèvent le papier elles m’envahissent elles sont comme cette Élisa mangée des yeux par Flaubert « j’envie la vague molle et paisible qui bat ses flancs et couvre d’écume sa poitrine haletante je sens ce corps de femme à moitié nu passer près de moi avec le parfum de la vague »

elles sont

je nage l’eau le calme le bleu de l’eau douce car j’évite l’eau de mer je crains le sel sur ma cicatrice fraîche qui me coupe en deux du cou jusqu’au nombril et qui effraie les enfants de la piscine où je nage il y a peu de monde c’est très doux en plein air calme le bassin a la forme d’une guitare posée sur le sable que j’aperçois par les hublots percés dans le mur qui protège la piscine de la plage les oiseaux viennent boire je nage devant moi se dresse le casino municipal  qui fête cette année ses cent ans le jeu les femmes je ferme les yeux je rêve du temps jadis je me réveille dans l’eau bleu je nage

et puis je mange

et je nage dans ce bassin en forme de guitare en forme de hanches de femmes qui se baignent

il  y en a une que j’avais remarquée la veille joli visage chignon blond des seins énormes qui s’échappent du haut de maillot elle est enceinte ventre géant posé sur le tissu d’une chaise longue où elle se tient assise les jambes écartées passées de chaque côté de la chaise pose quasi érotique si ce n’était ce ventre  à la fois immonde et au monde porteur d’une vérité en marche

je rêve d’elle

nue

debout de dos

splendide

un cul d’aimant(e)

je me réveille

elle se retourne ses lèvres disent oui son ventre non elle passe un drap de bain autour de sa taille et se rassoit

le temps repasse soleil bleu

ivresse lente et calme

lenteur que j’aime autant que la vitesse selon le temps qui joue avec la vie

comme un enfant

je nage puis je rentre manger des bêtes

je les digère je les peins

des poissons des bleus des jaunes des rouges des poissons imaginaires que j’aimerais manger des poissons des mille et une nuits des poissons de pêche miraculeuse

ils sont très beaux je les range dans un carton à dessin ils rejoindront mes autres bêtes qui sont à Paris insectes reptiles crustacés bestiaire

et coquillages que je mange ce midi des huîtres et un tourteau mayonnaise

je regarde par la fenêtre il pleut j’aime la pluie sa fraîcheur je vais en profiter pour passer l’après-midi à la villa Montebello où se tiennent les expositions de peinture

la villa est en face des Roches Noires qui ont été peintes par Monet

et par Courbet avec qui j’avais en commun de manger comme une bête

aujourd’hui malade je picore je picore beaucoup mais je picore en regard de ce que j’engloutissais  auparavant

manger équivaut à peindre détruire l’objet pour le faire sien  détruire la réalité pour se l’approprier

la table le tableau ai-je coutume de dire

la peinture occidentale a beaucoup à voir avec l’eucharistie le corps de christ les espèces le pain le vin

le corps du christ dans l’hostie y est tout en n’y étant pas

ce qui ouvre la voie à la représentation

avale et tu verras amen

comme je mange moins je passe mon temps à nager je suis devenu un baigneur au sens moderne du mot

au sens ancien le baigneur ici même à Trouville plongeait le baigné tête en bas dans la vague afin de lui procurer le frisson

le baigneur était un costaud un tatoué un marin d’eau de mer

il n’y a personne à la piscine aujourd’hui il fait 18°C dehors nous sommes cinq dans l’eau

je nage je regarde je vois

je vois un couple sur un transat lui assis sur le bord elle allongée ses pieds sur les genoux de son compagnon

elle est enveloppée dans un drap de bain

lui regarde la piscine comme s’il cherchait quelqu’un

il regarde tout en plongeant sa main sous le drap

dévisageant chacun des nageurs

je comprends pourquoi quand moi aussi je regarde

je regarde comme Courbet regardait

je regarde sans penser l’œil bovin et je vois

je vois l’homme passer sa main sous l’élastique de la culotte de la femme

il la caresse

elle ondule accordant son corps à sa jouissance

le visage enfoui dans ses bras en arceaux

oui oui oui

quand l’homme voit soudainement que je le vois

il cesse parle à la femme

se lèvent et s’en vont

s’envolent ai-je envie de dire

je nage

et

je repense à l’exposition villa Montebello

le bateau du Havre à Trouville

le bateau à voile

puis à compter du 9 novembre 1820  le bateau à vapeur

Le Triton

Un nom de bête

Hector Malot : «  à chaque instant il croisait des flottilles de navires des remorqueurs des chalands des péniches toute la batellerie de la basse Seine ras sur l’eau et aussi quelques long-courriers aux voiles blanches et de grands vapeurs arrivant de la haute mer quand ils furent par le travers de Vasouy un petit vapeur apparut au loin à leur avant le cap sur le Havre

c’était le bateau de Trouville »

en rentrant je peins des bateaux une entrée de voiliers au port une course de chars à voile je peins également la plage et ses parasols

puis je mange

je mange un homard

je le mange comme j’imagine le peindre plus tard

en dessert je mange un jésuite une crème pâtissière blottie entre une pâte feuilletée et une meringue

c’est absolument délicieux

je mange un onctueux jésuite tous les jours

que j’achète chez Charlotte Corday

où je chante devant la pâtissière ce quatrain inepte

Charlotte Corday native de Varaville

Un jour mangea plus d’une centaine d’étrilles

Puis s’en alla armée de son coutelas

Occire Marat et tous ces scélérats

je suis sur la plage que je n’aime guère je m’y ennuie le plus souvent mais aujourd’hui le moins du monde il y a près d’où je suis un groupe de femmes qui pratique la relaxation c’est-à-dire l’exposition de leur corps quasi nu dans des poses les plus érotiques elles sont à quatre pattes les fesses tendues vers moi elles ondulent du bassin de droite à gauche du haut en bas et d’avant en arrière il ne manque que le partenaire dont l’absence me permet de l’être pour chacune d’entre elles

c’est doucement épuisant

plus loin ce sont des seins énormes qu’une baigneuse enduit de crème solaire l’image paraît banale mais le visage qu’elle offre pendant l’opération l’est moins elle pâme façon sainte Thérèse mystique de la crème fouettée( ?)

délicieuse elle s’assoit sur un pliant ses seins respirent comme deux lapins duveteux c’est un sujet pour Courbet qui savait montrer l’animal chez la femme

comme les femmes aiment la plage elles y sont encore plus présentes qu’ailleurs

elles posent se dorent se donnent se bercent d’elles-mêmes et du bruit de la vague

s’enivrent du soleil et du sable moelleux sur lequel elles s’exposent nues ou presque ou mieux sur lequel elles s’exposent déshabillées

infinies

pour moi le peintre qui suis comme le christ dans l’hostie

je suis sur cette plage tout en n’y étant pas

je regarde je vois voyant et je range mes images pour plus tard les donner à la reine des facultés

l’imagination

voyant et revoyant  la reine des plages

que je quitte aujourd’hui

14h01 le train est en route

l’atelier m’attend

femme grenouille

© Cauda

 

 

 

 

 

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