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jacques cauda
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17 octobre 2011

Surfiguration

Boléro

 À l’étage du dessus se tenait ce qu’au 32ème chant du Paradis Saint Bernard nomme : « Il nobe di mia mortalita, le nuage de ma mortalité, celui que nous appelions, avec un brin d’innocente tendresse dans la voix, Boléro. C’était un petit bonhomme aux apparences mêlées, la taille d’un adolescent à la courbure d’un vieillard, et le visage d’un homme d’au moins quarante ans à la voix réellement sans âge. Une voix dont nous ne comprenions pas tout, parce qu’elle agglutinait les mots sur une même ligne, une grande flèche d’harmonie, qui prenait son inspiration sur les crêtes de l’âge ingrat, les blancs de l’âge d’or, les seconds mots de l’âge mental et les derniers de l’âge de raison. Et sans jamais les distinguer, ni les délier, «  pâtamodelant » une sorte d’éternel retour en retour sur lui-même à la façon du boléro de Ravel (d’où son surnom) et du célèbre aphorisme de Kierkegaard : « La répétition, voilà la réalité et le sérieux de la vie. »

Quand je l’entendais parler, j’avais l’impression d’entendre rouler un petit bonhomme de neige qui, prenant sa tête pour son sexe, voulait pénétrer en marche arrière l’utérus d’une femme, pour y fondre le jour de sa naissance à l’impossible degré zéro d’une humanité sans « voix », comparable à ce que le sanskrit devint pour les Lumières et les Romantiques Allemands : une langue primordiale, mère de toutes les langues du monde.

Boléro descendait tous les matins me faire la causette, et me montrer son histoire illustrée en ôtant son T. short, dévoilant son torse nu martyr de Saint Sébastien, et dont, peu à peu, je compris le détail.

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C’était un relevé de toutes ses cicatrices qui le rapiéçait comme un vieux sac rapetassé, à l’image du torse archaïque d’Apollon, dont personne n’avait jamais connu la tête prodigieuse où les pupilles mûrissaient, selon la légende, comme des cerises au soleil. Pendant cet exposé quotidien, le regard de Boléro tout d’abord vrillé en lui-même, se fixait ensuite sur moi en étincelant de tout ce qu’il avait avalé pour s’échapper de l’hôpital psychiatrique où il avait été interné pendant près de trente ans. Lames de rasoir, dents de fourchettes, petites cuillers ébréchées et morceaux de verroteries le conduisaient invariablement à l’infirmerie, plus lâche de surveillance, d’où il s’échappait pour toujours être repris, et ce infiniment, et encore et ainsi de suite, jusqu’à son élargissement final qui l’avait bouleversé comme un orgasme. « Oui Patron (il m’appelait Patron) ça été le bonheur, le vrai, le vrai bonheur, Patron, le bonheur c’est comme la poésie des femmes, Patron, c’est comme la toilette ( ?) tu comprends ? »

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Ces femmes auxquelles il faisait souvent allusion et principalement sa mère, qui était « une pute, Patron, une vraie pute, Patron, les putes c’est comme le bonheur et la toilette, Patron, tu comprends ? » Sa mère, jeune comtesse l’avait eu en secret avec le jardinier, le chauffeur, le valet d’écurie et le sommelier. Et pour le cacher du monde, elle l’avait fait enfermé dans un asile. « Mais j’étais pas fou, Patron, pas fou du tout, tu comprends que j’étais pas fou, Patron, les hommes sont si nécessairement fous, comme l’a dit Saint Blaise, que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou, Patron, tu comprends, dis, tu comprends, Patron ? La folie, c’est comme le bonheur, la toilette et la poésie des femmes, Patron !»

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©Jacques Cauda 2011

 

                                                                                                           

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