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jacques cauda
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2 septembre 2010

SURFIGURATION

J’ai un temps vécu à la ressemblance du Gilles de Watteau à qui je ressemblais, pareil et longuement vêtu de blanc, un long vêtement plissant aux extrémités des bras et des jambes, sancta simplicitas, triste figure, les voiles gonflées de mon importance, à califourchon sur mon asinité, « mystère comique de la bêtise confondu  à celui sacré de l’innocence », j’étais jeune, aussi jeune que ressemblant. De plus, j’avais acquis quelques accessoires indispensables à l’air de l’idiotie : un ceinturon de survie, un caleçon blanc, un poignard de combat, des lunettes aux verres fumés et deux poignets de force hérissés de clous à têtes octogonales.

La première fois que Petit Muscle et Saucisson me virent fendre l’autobus dans cet équipage, ils fondirent défaits d’admiration, non seulement j’étais Gilles, mais plus encore, j’étais Gilles de Watteau ! C’était lui qui pénétrait l’autobus d’un ornement ravissant la cour, d’un rein à cueillir la Beauté (des filles). Ô ! firent-ils en chœur que je surpris au coin de leur bouche. Ô (fiel) ! Regards, fenêtres et jalousies (j’étais si ressemblant que je les vis jaloux) : ma jambe était une aile pétulante si vive, je flottais, je dansais et j’enfantais tout l’autobus, toutes, les petites employées modèles qui s’en allaient travailler (c’était le matin), déjà, le sein tragique comme tout ce qui prend de l’importance, la jambe balançant au même rythme que ma belle tête, paysages blancs sur blancs, culottes sur mon habit, cuisses chevronnées (j’étais déjà un piéton des cuisses), fouillis de feuilles en vigne, pensai-je (je m’en souviens) enfiévré, brassées de touffes s’agitant au sommet de mon thyrse. C’était vrai, j’étais Gilles, le Gilles de Watteau.  Et c’était le matin.

Après l’autobus, Petit Muscle, Saucisson et moi allions jusqu’au lycée. Nous étions jeunes. Seize ans que multipliait trois. À peu près l’âge de Madame La Directrice qui m’aperçut dans la cour. Elle marqua aussitôt un grand tour d’horloge, des huit et des huit avec son derrière comme une jument passe de l’amble aux petits pas, le sabot l’un après l’autre et la croupe dilatée.

- Venez, Gilles, me dit-elle, m’entraînant dans son bureau afin de dépunaiser un vieux calendrier « vraiment bien trop haut » (sic). Je montai sur une chaise, beau et blanc, Gillesdewattien, et rayonnant, pendant que dans mon dos, Madame la Directrice faisait des bruits d’eaux fraîches, comme des truites nageant dans le creux de ses dents, des ssssffffffffflllls poussés par la bouche, que ma position debout sur cette chaise aurait pu mettre à portée.  (Je l’imaginais.) Nue, les larges aréoles brunes, les pointes longues et trapues, sa croupe de jument, me liant ainsi par l’imagination à une sympathie qu’elle ne démentait pas, m’encourageant même par ses sifflements à défaire mon ceinturon et tirer sur mes poignets de force. Oui ! Pour voir, oui par curiosité, et avec tout ce que ça supposait comme attachement affectif et matériel d’expérience (étais-je puceau ?), mélange d’effronterie et de tourments (que faire ?), de timidité et d’innocence.

J’hésitai. Et j’hésitais encore quand, toujours debout, le calendrier à la main, immergé dans toute ma splendeur, et bouffant aux extrémités,   je me retournai enfin.

-  Mon petit Gilles, me dit-elle alors dans un ultime sifflement, à laver la tête d’un âne, on perd sa lessive !

 

gilles_de_W

Watteau+Boisrond+Cauda

 

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